Revue de presse

5G – Le Lobbying a payé – Le Col Vert du Peuple

Le 24 février 2021, l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) publie de nouvelles directives pour calculer le rayonnement des antennes 5G. Le communiqué n’a pas eu la résonnance qu’il méritait dans l’espace médiatique. Pourtant c’est une bombe : le Conseil fédéral plie devant le travail de sape des opérateurs et des lobbys économiques. Quand l’Economie estime nécessaires des changements auxquels la société est réfractaire, les choses se passent en catimini et le Palais fédéral n’a de démocrate plus que sa façade.


La 5G dans la panade

Le 5 février 2021, Anouch Seydtaghia, spécialiste du numérique pour le journal Le Temps, tient à la radio sa chronique hebdomadaire sur le numérique. Il évoque « l’étrange silence sur la 5G ». Il y a peu les publicités sur la 5G fleurissaient, désormais tout le monde se tait. Seydtaghia décrit une situation qui est en fait passablement bouchée. Les opérateurs affirment couvrir la Suisse avec la 5G, pourtant ladite 5G n’est très souvent qu’une 4G boostée : les débits n’ont pas changé. Il va même plus loin, il déconseille aux auditeurices de contracter un abonnement 5G, qu’il qualifie de « jolie arnaque ». Le silence sur la 5G, ce serait donc parce que les opérateurs seraient dans l’impasse et qu’ils verraient quelque inconvénient à poursuivre leur publicité pour vendre un produit presque frauduleux1.

Plus techniquement, en mi-février, l’impasse dans laquelle se trouve le déploiement de la 5G réside à la fois dans sa technologie et dans la législation existante. Avec les réglementations en vigueur, ce sont des dizaines de milliers d’antennes que doivent construire les opérateurs. Ces derniers sont confrontés à deux problèmes. Premièrement, le réseau arrive bientôt à saturation : les antennes émettent déjà presque à plein par rapport aux limites légales. Deuxièmement, la 5G nécessite l’utilisation de nouvelles antennes, les antennes adaptatives. Or celles-ci fonctionnent d’une manière très différente des antennes conventionnelles et la loi en vigueur n’est pas adaptée pour elles.

Les antennes conventionnelles arrosent d’une manière homogène une large zone à environ 180°. Selon la loi qui protège la population des rayonnements non-ionisants (l’ORNI), chaque installation ne doit pas dépasser les 5-6V/m. Jusque-là, c’est assez facile à mesurer car il y a une relation étroite entre le rayonnement émis par une antenne et le rayonnement reçu dans toute la zone par cette antenne.

Les antennes adaptatives de la 5G, quant à elles, n’arrosent pas partout. Leurs rayonnements forment des faisceaux focalisés sur les appareils connectés. A un endroit le rayonnement peut ainsi être considérablement réduit et à un autre endroit très puissant. Or les antennes adaptatives peuvent émettre plusieurs faisceaux en même temps et chacun de ces faisceaux utilise un peu de la puissance d’émission des antennes.

Le hic est ici : la relation entre le rayonnement total émis par une antenne adaptative et le rayonnement qu’elle envoie à un point précis dans la zone n’est plus assurée. Pour envoyer plusieurs faisceaux qui soient chacun équivalents au rayonnement d’une antenne conventionnelle, une antenne adaptative doit parfois dépasser la limite légale. En maintenant la loi en vigueur, en limitant la puissance de l’installation à 5-6V/m, on restreint ainsi fortement chacun des faisceaux et on rend ces nouvelles antennes difficilement utilisables.

On est là dans la situation d’avant le 23 février. Pour rendre l’utilisation des antennes adaptatives possibles et permettre de déployer véritablement la 5G, il fallait d’une manière ou d’une autre changer la loi.

Changer la loi en catimini

Le 23 février, l’OFEV publie de nouvelles directives pour expliquer comment il faudra calculer les rayonnements émis par les antennes 5G, les antennes adaptatives2. Si les opérateurs ont fait silence radio au début de cette année 2021, c’était peut-être qu’ils savaient que le changement de ce calcul allait être publié. Et qu’il fallait que tout cela ne s’ébruite pas trop.

En théorie la loi ne change pas, c’est la méthode de calcul qui change. Un facteur de correction peut être calculé pour chaque installation permettant aux antennes adaptatives de fonctionner comme prévu et d’envoyer plusieurs faisceaux dont la somme du rayonnement dépasse momentanément les 5-6V/m. Voilà qui devrait permettre aux antennes adaptatives d’être utilisées comme prévu. Voilà qui rend véritablement possible le déploiement de la 5G.

Un détail est particulièrement important : si la valeur d’installation reste limitée à 5-6V/m, elle est lissée sur une moyenne de six minutes. Autrement dit, la limite devra être respectée sur la moyenne de six minutes mais des pics temporaires sont autorisés. Les opposant.es parlent de dépassements allant pour certaines antennes jusqu’à dix fois la puissance d’émission autorisée.

N’est-ce pas là permettre des pics de rayonnement qui dépassent de beaucoup la limite d’émission ? Ces multiples faisceaux qui s’accroîtront avec le nombre d’objets connectés ne vont-ils pas faire empirer une situation dont souffrent déjà un certain nombre de personnes sensibles aux ondes ? En bref se fout-on de notre gueule ?

Les différentes associations qui s’opposent au développement de la 5G ont en tout cas dénoncé cette décision. Pour les Médecins en faveur de l’Environnement, il s’agit là d’une « augmentation des valeurs limites par une voie détournée ». L’association affirme que « de plus en plus d’études prouvent que l’exposition au rayonnement est nocif pour la santé ». Elle souligne notamment que dans une publication récente, le groupe BERENIS indique qu’il existe un risque de stress oxydatif résultant de l’exposition au rayonnement3. Or le groupe BERENIS, ce n’est autre qu’un groupe d’experts mandatés par l’OFEV lui-même.

En 2019, le Conseil fédéral avait vendu les concessions aux opérateurs téléphoniques avant même que le rapport « téléphonie mobile et rayonnement » très attendu soit publié, ce qui avait fortement nourri le mouvement anti-5G. Aujourd’hui, c’est quelque part le mouvement inverse qui se produit : le groupe BERENIS pointe du doigt un problème qui pourrait être sérieux et le Conseil fédéral détricote la loi qui empêchait le déploiement de la 5G. C’est démocratiquement incompréhensible.

La 5G : ou comment se tirer une balle dans le pied

Si la question sanitaire n’a pas fini de faire débat, il en va différemment avec la question écologique. A l’heure où toutes les décisions politiques devraient être jugées à l’aune de la crise environnementale et de la sobriété vers laquelle, tôt de gré ou de force plus tard, nous allons nécessairement aller, personne ne peut honnêtement défendre que la 5G est un bienfait pour l’environnement. C’est même l’exact contraire. La 5G est le chemin à ne plus prendre, à abandonner aussi vite que possible, bourré d’épines dont on commence déjà à sentir le poison.

D’un côté c’est vers un accroissement massif des informations échangées que la 5G va conduire. Certes la consommation énergétique par octet échangé sera inférieure avec la 5G. Mais l’argument n’est pas pertinent. On sait aujourd’hui avec certitude que ce genre d’améliorations techniques conduisent à un effet rebond. Cela veut dire que l’économie marginale faite par octet échangé ne fait pas le poids par rapport à l’accroissement des échanges prévu avec la 5G. Les consommateurices pourront télécharger encore plus rapidement, en tout lieu et avec une meilleure résolution toutes sortes de vidéos, du film porno à la nouvelle série Netflix. Cela accroîtra encore davantage les besoins énergétiques du numérique dans un contexte où il nous faut absolument les réduire.

D’un autre côté, cela nécessitera la mise en place d’une nouvelles infrastructure technique, d’une quantité de nouvelles installations, et cela mènera à la production de tout un tas de nouveaux objets connectés. Ici il ne faut se faire aucune illusion : chaque objet high-tech fabriqué pose la question (et le problème) des matériaux qu’il nécessite, des conditions dans lesquelles il est produit et de son recyclage. Chacune de ces étapes est consommatrice d’énergie. Chacune de ces étapes est polluante. Il n’y aura jamais de production « propre » et le concept de « durabilité » est d’abord un vice de langage.

Dans cette perspective, la chose est claire : la 5G consiste à appuyer encore davantage sur les gaz au moment où il faudrait planter sur les freins. Les promesses qui nous sont vendues sans vergogne, ce sont pour l’instant autant de futilités dont non seulement nous risquons de devenir dépendants mais dont il nous faudra rembourser le coût au prix fort – réchauffement de la planète, immigrations massives, augmentation du niveau de la mer, sixième extinction de masse du Vivant, etc. Bref autant de bonnes raisons pour s’épargner la 5G.

Un problème global : le mur capitaliste

La 5G est comme un miroir où se reflète notre société capitaliste et ses injonctions les plus irrationnelles.
Il faut croire dans l’innovation et dans le progrès technique (la numérisation, l’Internet des objets, et bientôt la 6G).
Il faut trouver de nouveaux débouchés économiques pour permettre au capital de nouveaux rendements, pour créer de nouveaux emplois, pour rendre la Suisse davantage compétitive et permettre à la machine économique de continuer de tourner.
Il faut faire en sorte que les sujets-citoyens-consommateurs finissent par exprimer leur besoin de pouvoir télécharger leurs films dans le bus 10 fois plus rapidement, d’assister virtuellement au match de leur équipe préférée et de connecter leur réveil, leur micro-onde et leur sonnette à Internet.
Y faut, y faut, y faut.

Et que la 5G n’ait été désirée par personne avant que les opérateurs fassent leur publicité, qu’elle soit une catastrophe directe et immédiate pour l’environnement, qu’elle soit une pierre supplémentaire dans l’édifice d’une certaine vision du progrès dont on sait aujourd’hui qu’elle génère la destruction de la biodiversité et de la planète, que la 5G enfin inquiète de plus en plus les médecins de tout bord quant à son impact sur la santé – de tout cela : tant pis, modiques externalités négatives.

Y faut, y faut, y faut. D’abord l’économie capitaliste. Pour la biodiversité, le climat, la santé, on verra plus tard, on soignera ça avec de nouveaux investissements, de nouveaux subsides, de nouveaux produits.

Pour le bon sens aussi, on verra plus tard.

Ps 1 Nul doute que sous la Coupole de la Bundesplatz, à l’heure du café et des ragots, les mêmes petites mains écono-politiciennes qui auront réglé le problème de la 5G se seront inquiétées de cette étrange époque où fleurissent les « oh combien irrationnelles, bon Dieu, » théories conspirationnistes. Se rendent-elles compte que leur tour de passe-passe sur la 5G offre précisément le genre d’appui dont raffolent ces mêmes théories conspis ? Se rendent-elles compte qu’à force de satisfaire la clique des Messieurs-Dames de Sunrise, Salt et Swisscom – et de tous les costards-cravates qui sont derrière – elles mettent de l’huile sur le feu et renforcent la défiance de la population envers ses élites ? A force de confondre les enjeux sociétaux avec leurs jeux de gros sous, iels préparent sans s’en rendre compte un terrain miné.

Ps 2 On finira par constater que les médias ont été pour le moins frileux à traiter de la question4. Par exemple, Le Temps n’écrit sur le sujet que 1er mars dans un article étonnamment sans profondeur, la RTS n’a pas du tout mis à jour son « observatoire de la 5G », comme si le débat était réglé – un dossier dont l’intention d’origine était pourtant louable. Quant à la radio, Forum a consacré au sujet un vrai débat le 11 mars, soit plus de deux semaines après la décision. Ont-ils craint de faire exploser la bombe ?

Faudra-t-il pour mettre le feu aux poudres des activistes qui passent des paroles aux actes, crament quelques antennes, et montrent pacifiquement par le fait, sans faire de mal à personne, qu’une fois pour toutes, de la 5G, de son monde et de ses capitaux : ON N’EN VEUT PLUS ?

Ps 3 Outre l’action directe, deux autres moyens peuvent encore potentiellement modifier l’affaire : premièrement différentes initiatives populaires sont en cours de récolte de signatures – mais quel sera le sens d’une telle initiative arrivant devant le peuple lorsque Swisscom&Cie auront déjà truffé nos territoires d’antennes ? on peut se le demander – et deuxièmement les instances juridiques devront se prononcer, puisque les mises à l’enquête pour de nouvelles antennes ont fait massivement l’objet d’oppositions et que les opposant.es dans bien des cas semblent prêt.es à aller face au juge.


Cet article fait suite à un première série de cinq courts articles consacrés à la 5G et à la situation en octobre 2020, consultable ici.


  1. https://www.rts.ch/play/tv/la-matinale/video/la-chronique-numerique-video-letrange-silence-sur-la-5g?urn=urn:rts:video:11951241
  2. En mars 2018 déjà, le Conseil fédéral évoquait la possibilité « d’adapter les méthodes de mesures et de calcul pour les limites préventives des émissions » pour augmenter la capacité des sites en maintenant les valeurs limites. Voir https://www.parlament.ch
  3. http://www.aefu.ch
  4. Juste après l’écriture de cet article, Temps Présent a sorti un reportage sur la 5G, ouvrant peut-être la voie à un nouvel intérêt des médias pour le problème. Voir https://pages.rts.ch

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